Les organisations bouddhistes de Taiwan ont façonné une vision nouvelle de l’humanisme religieux.
Le monastère Nung Chan de Beitou, à Taipei, est un lieu de profonde sérénité offrant refuge aux personnes cherchant la tranquillité d’esprit. Avec son magnifique bassin faisant face à l’entrée principale, le Centre du Dharma de l’Eau et de la Lune compte parmi les lieux phares du site. Un an après son ouverture, le centre s’est distingué lors de l’édition 2013 des Prix de l’architecture de Taiwan grâce à ses espaces ouverts mêlant les esthétiques religieuse et profane.
Ce lieu saisissant fut inspiré par une vision apparu lors d’une séance de méditation au fondateur de la Montagne du Tambour du Dharma, Sheng Yen [聖嚴, 1931-2009]. Cette vision était celle d’une fleur dans le ciel et de la lune sur l’eau. En assemblant l’édifice, la nature qui l’environne et leurs réflexions dans l’eau, la conception de l’ensemble vise à établir des parallèles entre le réel et l’illusion. Bien que la Montagne du Tambour du Dharma soit maintenant basée à Jinshan, elle prend sa source dans les tranquilles montagnes des environs de Nung Chan, où Sheng Yen s’installa en 1989.
Le Centre Dharma de l’Eau et de la Lune au monastère Nung Chan de la Montagne du Tambour du Dharma, dans le quartier de Beitou, à Taipei, possède un large bassin réfléchissant faisant face à l’entrée principale. (Photo : Pang Chia-shan / MOFA)
Depuis lors, la Montagne du Tambour du Dharma s’est développée au point de devenir l’une des principales écoles d’enseignement du bouddhisme chan à Taiwan, une forme de bouddhisme mahayana née en Chine au XVIe siècle. D’autres types de bouddhisme, suivant les traditions tibétaines et d’Asie du Sud-Est, sont également très présents dans le pays. Le bouddhisme est aujourd’hui l’une des religions les plus influentes à Taiwan ; de nombreuses croyances et pratiques bouddhistes ont ainsi fusionnées avec les traditions religieuses populaires. Introduit à Taiwan à partir du XVIIe siècle par des immigrés han venus de Chine au cours des dynasties Ming (1368-1644) et Qing (1644-1911), le bouddhisme a essaimé au cours des siècles suivants en de multiples formes populaires et officiellement reconnues.
Une présence florissante
Le développement multifacette du bouddhisme à Taiwan résulte de l’évolution géopolitique des régions périphériques de l’empire chinois et cette situation s’est consolidée pendant les cinquante ans du régime colonial japonais (1895-1945), affirme Li Yu-chen [李玉珍], directrice de l’Institut supérieur d’études religieuses de l’Université nationale Chengchi, à Taipei. Durant cette période, les enseignements chan et la doctrine japonaise zen devinrent rapidement prédominants, explique-t-elle, ajoutant que des traditions locales uniques ont émergé alors que ces deux écoles de pensée évoluaient grâce aux innovations modernes et aux réformes portées par les fidèles locaux. Un schisme apparut après la Seconde Guerre mondiale quand des moines essayèrent d’imposer une idéologie orthodoxe venue de Chine en réprimant les adeptes des formes de bouddhisme japonaises et locales.
Malgré leur mise au ban, ces pratiques religieuses non conformistes persévérèrent et des organisations bouddhiques locales furent créées au milieu des années 1960. Parmi leurs représentants les plus notoires, on retrouve la fondation Tzu Chi, originaire du district de Hualien, dans l’est de Taiwan, et Fo Guang Shan, située dans la ville de Kaohsiung dans le sud du pays. Une fois la loi martiale levée en 1987, la Montagne du Tambour du Dharma et Chung Tai Shan, toutes deux basées dans le district de Nantou, sont venues grossir les rangs des grandes organisations religieuses du pays. « Avec sa culture libérale et ses valeurs pluralistes, Taiwan offre les conditions idéales pour permettre à de tels groupes de prospérer », indique Li Yu-chen.
Les enfants issus des familles à faible revenu bénéficiant du programme d’aide de la Montagne du Tambour du Dharma envoient souvent des lettres de remerciement. (Photo : Pang Chia-shan / MOFA)
Selon Li Yu-chen, Taiwan a émergé dans les années 1990 comme un centre international majeur de promotion des enseignements bouddhiques. On retrouve, parmi les personnalités influentes en tête de ce mouvement, Sheng Yen qui partageait alors son temps entre Taipei et New York pour y enseigner le bouddhisme chan. En août 2000, Sheng Yen participa au Sommet du millénaire des dirigeants religieux et spirituels pour la paix mondiale organisé au siège de l’Onu à New York. Il y prononça un discours appelant à la compassion face aux conflits religieux et à la discrimination. Deux ans plus tard, il fut invité à la réunion annuelle du Forum économique mondial à Davos et au Sommet mondial des leaders religieux en Thaïlande, occasions au cours desquelles il réitéra son principe pour la protection de l’environnement spirituel. Considérant les questions religieuses comme une cause majeure de différends internationaux, le chef religieux espérait que ses efforts contribueraient à la paix mondiale.
Dans le cadre de leurs initiatives visant à promouvoir les échanges mondiaux, les dirigeants de la Montagne du Tambour du Dharma ont participé à la Conférence internationale sur les sociétés multiculturelles organisée à l’Université technologique Nanyang à Singapour en juin 2019, avec pour but d’explorer le rôle de la foi dans les relations interreligieuses. L’ancien Supérieur de la Montagne du Tambour du Dharma, Shi Guo Dong [釋果東], est convaincu que de tels événements sont d’excellentes opportunités de trouver un terrain d’entente tout en faisant preuve de tolérance face aux différences. « S’il doit exister une approche spécifique à suivre pour les croyants, argumente-t-il, cela ne justifie pas pour autant une obsession quant à la légitimité d’une méthode ou d’une posture particulière. »
Une tendance humaniste
En tant qu’organisation éducative, la Montagne du Tambour du Dharma a également joué un rôle prépondérant dans la promotion des valeurs altruistes, souligne Shi Guo Dong. Né de la fusion des deux premières écoles de l’organisation, l’Institut d’arts libéraux du Tambour du Dharma fut établi à New Taipei en 2014. Il est aujourd’hui l’une des sept institutions bouddhistes d’enseignement supérieur du pays. Les six autres organisations sont l’Université Fo Guang (FGU) dans le district d’Yilan, l’Université Hsuan Chuang à Hsinchu, l’Université Huafan à New Taipei, l’Université Nanhua dans le district de Chiayi, ainsi que l’Université Tzu Chi et l’Université Tzu Chi des sciences et des technologies à Hualien.
Le site principal de Fo Guang Shan à Kaohsiung, au su de Taiwan, se pare de lanternes colorées pour les célébrations du nouvel an lunaire. (Photo : Huang Chung-hsin / MOFA)
Les universités Nanhua et Fo Guang, qui ont respectivement commencé à recruter des étudiants en 1996 et 2000, font partie du système éducatif de Fo Guang Shan, comprenant par ailleurs des universités en Australie, aux Philippines et aux Etats-Unis. Le président du système éducatif Fo Guang Shan, Yung Chaur-shin [楊朝祥], fut d’abord vice-ministre de l’Education entre 1989 et 1997, puis ministre lui-même, avant d’accepter l’invitation du fondateur de Fo Guang Shan, Hsing Yun [星雲], à occuper ses fonctions actuelles. Sous sa gouvernance, la faculté des études bouddhistes de Fo Guang Shan offre des diplômes allant de la licence au doctorat dans des domaines tels que l’art, la littérature, la musique et la philosophie.
Certains départements de l’école intègrent également des aspects du bouddhisme dans des cours d’art, de design, de langue, de médias, de psychologie et de gestion des entreprises. D’après Yung Chaur-shin, la philosophie bouddhiste façonne les principes directeurs de l’école et se transmet autant aux étudiants religieux que laïcs. L’administration estime nécessaire d’encourager une implication importante dans la vie quotidienne. « De cette façon, notre vision de la religion peut apporter de réelles contributions aux membres de la communauté », affirme Yung Chaur-shin.
Pour Li Yu-chen, cet aspect humaniste est un trait caractéristique de la religion à Taiwan. « Il ne s’agit pas de tomber dans le mysticisme ou de se tourner vers d’autres domaines, mais plutôt de pratiquer la modération dans sa vie de tous les jours et de faire progresser l’ensemble de la société », précise-t-elle. De nombreuses organisations bouddhistes jouent avant tout un rôle de prestataire de services auprès des groupes défavorisés tels que les personnes âgées, les handicapés et les ménages à faible revenu. « Mais ils sont plus que de simples distributeurs de services sociaux ; ces organisations ont aidé à façonner un nouveau ‘modèle civique’ du bouddhisme bénéficiant à tous les membres du public. »